LA VIE POLITIQUE, ÉCOONOMIQUE ET SOCIALE
LE POUVOIR ROYAL ET LES VILLES
1. Les milices communales à la bataille de Bouvines (1214)
Dans les registres de la chancellerie de Philippe Auguste, la liste des communes* figure à la suite de l'énumération des vassaux du roi. Émancipées du pouvoir seigneurial, elles remplissent en effet à l'égard du roi certaines obligations féodales, principalement le service militaire.
Cependant arrivent les milices* des communes... et elles accourent jusqu'à la ligne de bataille du roi, où elles voyaient l'emblème royal, c'est-à-dire la bannière marquée de fleurs de lis que portait ce jour-là Galon de Montigny... Il accourt spécialement les communes de Corbeil, d'Amiens, de Beauvais et de Compiègne; elles pénétrèrent à travers les chevaliers formés en coin et se placèrent devant le roi lui-même.
GUILLAUME LE BRETON. Gesta Philippi Augusti (rédiqée vers 1220), chap. 191. Ed. Henri François DELABORDE. OEuvres de Rigord et de Guillaume le Breton. T. 1. Paris, Renouard, 1882 (Société de l'histoire de France), p 281-282.
2. Enseignements de saint Louis à son fils (1270)
La politique des rois de France à l'égard des villes passe par des alternatives de défiance et de faveur. Saint Louis les considère comme une puissance capable de contrebalancer le pouvoir de ses barons.
Garde les bonnes villes (1) et les coutumes de ton royaume dans l'état et dans la franchise (2) où tes devanciers les ont gardées; et s'il y a quelque chose à amender, amende-le... Tiens-les en faveur et amour, car par la force et la richesse des grandes villes, les particuliers et les étrangers redouteront de mal agir envers toi, spécialement tes pairs et tes barons.
JOINVILLE. Histoire de saint Louis. Ed. N. de Wailly. Paris, J. Renouard, 1868. (Société de l'histoire de France), p.264-265.
1. Villes du domaine royal les plus importantes par leur population et leurs ressources financières (Paris, Orléans, Bourges, etc.).
2. Liberté, statut privilégié.
ÉMEUTES URBAINES
Révolte des bourgeois de Laon (1112)
La commune* de Laon vient d'être abolie par Louis VI à la demande de l'évêque* Gaudri.
Une telle fureur, une telle stupeur envahirent le coeur des bourgeois* que tous les gens des métiers abandonnèrent leurs ateliers, que les échoppes des corroyeurs et des cordonniers se fermèrent et qu'aucun paiement n'était exigé chez les cabaretiers et les taverniers... Le surlendemain, comme il suivait son clergé pour se rendre à la procession, l'évêque ordonna à ses domestiques et à quelques chevaliers de lui faire escorte avec des épées cachées sous leurs vêtements; au milieu de la procession, comme on commençait à percevoir le tumulte que produit d'ordinaire une foule assemblée, un bourgeois surgit de la crypte... et s'écria d'une voix forte : « Commune! Commune!... » Le jour suivant (le 26 avril), voici que s'enfle par la ville le bruit des vociférations : « Commune! ». Alors en passant par la cathédrale Notre-Dame... les bourgeois, en foule immense, envahirent le palais épiscopal, avec des épées, des flèches, des arcs, des haches, des massues et des lances... (L'évêque est massacré). De la maison du trésorier... le feu parut gagner l'église comme un serpent... Pendant que brûlaient la cathédrale et le palais épiscopal... un tison ou un charbon vola jusqu'au couvent Saint-Jean et réduisit en cendres les églises de Saint-Jean, de Sainte-Marie-la-Profonde et de Saint-Pierre.
GUIBERT DE NOGENT. Histoire de sa vie (1053-1124), III, 7-9. Ed. Georges BOURGIN. Paris, A. Picard, 1907 (Collection de textes pour servir à l'étude et à l'enseignement de l'histoire), p. 162-165, 170.
LES VILLES DE LA HANSE : FONDATION DE LÜBECK (1143-1159)
Une association des marchands de Cologne, établie à Londres dès 1167, est à l'origine de la Hanse, fédération de villes commerçantes du Rhin inférieur, de la mer du Nord et de la Baltique (première moitié du XIVe siècle). Lübeck, fondée au milieu du XIIe siècle, deviendra une des villes les plus importantes de cette ligue.
(En 1157) la ville de Lübeck fut anéantie par un incendie... Alors le duc (de Saxe Henri le Lion) fonda une nouvelle ville sur la rivière Wakenitz, non loin de Lübeck, et il commença à la bâtir et à la fortifier. Il l'appela de son propre nom Lewenstat, c'est-à-dire Ville du Lion. Mais cet endroit n'étant pas approprié à un port ni à une forteresse, et seuls de petits vaisseaux pouvant y accéder, le duc se remit en relations avec le comte Alphonse... Le comte... lui céda le château et l'île.
Aussitôt, sur l'ordre du duc, les marchands s'en retournèrent avec joie, délaissant l'incommode ville neuve, et commencèrent à reconstruire les églises et les murs de la ville. Le duc envoya des messagers dans les villes et les Etats du Nord, au Danemark, en Suède, en Norvège et en Russie, leur offrant la paix, le libre accès et transit en sa ville de Lübeck. Il y établit une Monnaie et un tonlieu (1) et concéda à la ville les privilèges les plus importants. Depuis ce temps, l'activité de la ville se développa toujours plus et le nombre de ses habitants s'accrut à un haut degré.
HELMOLD, curé de Bosau. Chronica slavorum (rédigée vers 1171). Traduction Philippe DOLLINGER. La Hanse (XIIe-XVIIe siècles). Paris, Aubier, 1964 (Collection historique), p. 465-467.
1. Impôt perçu sur le trafic des marchandises.
UNE LIGUE DE VILLES : CHARTE DE FONDATION DE LA DÉCAPOLE (1354)
A l'imitation d'autres fédérations de villes (ligues des villes du Rhin inférieur et des villes souabes, villes hanséatiques), les dix villes importantes d'Alsace qui se sont émancipées de la tutelle seigneuriale et sont devenues villes impériales, s'associent pour défendre leurs privilèges et assurer le maintien de la paix, nécessaire au développement de leur prospérité, sous la protection de l'Empereur.
Nous, Charles (1), par la grâce de Dieu roi des Romains et roi de Bohême, faisons savoir qu'ayant constaté les malheurs, discordes et révoltes troublant le pays, les villes et les gens qui en Alsace nous appartiennent à nous et au Saint Empire, nous avons ordonné par la présente charte aux bourgmestres*, conseils*, bourgeois* et communautés des villes de Haguenau, Wissembourg, Colmar, Sélestat, Obernai, Rosheim, Mulhouse, Kaysersberg, Turckheim et Munster de s'unir sous serment prêté à nous, à l'Empire pour se porter aide et conseil réciproques contre qui que ce soit, à l'exception toutefois de nous, de l'Empire, de notre grand bailli (2) (Landvogt) et de nos autres fonctionnaires en exercice.
Si l'une de ces villes est en procès ou en conflit avec un tiers, seigneur, ville, village ou individu, elle doit assigner son adversaire devant notre grand bailli, en lui fixant l'heure et le jour de l'assemblée. Elle doit aussi aviser les autres villes, qui devront envoyer leurs représentants à cette assemblée. Mais si l'adversaire en question refusait de participer à celle-ci, ou de faire justice, les autres villes devront sous serment prêter assistance à la ville plaignante, décider comment lui porter aide, par expédition militaire, par siège, par guerre permanente ou de toute autre façon efficace...
Nous ordonnons aussi à tous, nobles et non-nobles, établis dans ces villes ou s'y trouvant, à notre grand bailli ou à son substitut, aux maîtres et aux Conseils de prêter serment à cette ligue dans le mois qui suit. Si quelqu'un, sollicité, ne le prête pas, il quittera sans délai la ville le mois écoulé.
Cartulaire de Mulhouse. Ed. Xavier Mossmann, T. I, Strasbourg, imprimerie Heitz, 1883. Traduction Philippe Dollinger, Dans : L'Alsace du passé au présent, Antiquité et Moyen Age. Strasbourg, Centre régional de Documentation Pédagogique, 1963, p. 23.
1. L'empereur Charles IV.
2. Fonctionnaire impérial, représentant de l'empereur.
DÉCADENCE DES VILLES A LA FIN DE LA GUERRE DE CENT ANS : PROVINS EN 1433
Ville de foire, Provins avait été également un centre d'industrie drapière. Son activité fut ruinée par la guerre de Cent Ans, et sa population réduite de moitié. Les villes médiévales n'étaient pas très peuplées : à l'exception de Paris qui, au début du XIVe siècle, devait compter de 150 000 à 200 000 habitants, les plus grandes villes françaises n'ont guère plus de 20 CO0 habitants (Arras, Saint-Omer, Toulouse, Douai) ; en Italie, Florence compte 45 000 habitants, mais Sienne, Padoue, Modène se limitent à 10 000-15 000 habitants; en Angleterre, aucune ville, en dehors de Londres, ne dépasse 10 000 habitants en 1377. La population urbaine qui avait cependant beaucoup augmenté au cours du XIIIe siècle, diminua à peu près de moitié dans toute l'Europe au milieu du XIVe siècle à la suite de la grande épidémie de la Peste Noire de 1348.
Plusieurs témoins... ont exposé et déposent qu'ils ont entendu dire à plusieurs personnes âgées de ladite ville de Provins que cette ville fut fondée autrefois en grande partie sur le fait, métier et commerce de draperie, qu'il y avait de grands faubourgs et que dans cette ville et ces faubourgs, il y avait six mille quatre cents métiers de tisserands de draps (1), sans compter les foulons... et autres gens nécessaires à ladite draperie. Mais ces gens anciens disaient que par suite des guerres, mortalités et autres épidémies qui étaient survenues dans le royaume de France, lesdits faubourgs avaient été ruinés et que la ville avait connu une grande diminution de population... C'est pourquoi la plus grande partie des habitants de la ville ont été chassés par la pauvreté dans des pays étrangers, si bien qu'il n'y a pas actuellement dans la ville la moitié de la population qui s'y trouvait...
Enquête sur la draperie de Provins (1433). Ed. Félix BOURQUELOT Histoire de Provins, T. II. Provins, 1840, p. 456-457.
1. Ce chiffre est certainement excessif.
UNE VILLE DE FOIRE : LYON EN 1484-1486
Requête des habitants de Lyon pour le maintien de leurs foires menacées de suppression.
Et premièrement ils (les habitants) disent que la ville de Lyon est fort ancienne ville et anciennement édifiée et l'une des principales villes de ce royaume... que ladite ville est située sur deux grosses rivières portant navires et venant de divers pays lointains... qu'elle est la clé de pays limitrophes des pays d'Allemagne, Savoie et Italie... que le feu roi Charles VII... y établit trois foires... que, ladite ville de Lyon étant en pays de franchises (1) et étant assez proche de tous les pays qui fréquentaient les foires de Genève, les marchands étrangers qui avaient l'habitude de fréquenter lesdites foires de Genève venaient aux foires de Lyon... que plusieurs marchands étrangers, tels qu'Allemands, Italiens, Castillans, Aragonais, Espagnols et plusieurs autres, ont fréquenté et fait leur résidence en ladite ville... que, lorsque les habitants du pays de Bourbonnais, Forez, Lyonnais, Auvergne, Vivarais, Dauphiné et autres pays voisins ont vu le grand trafic qui s'y faisait, ils se sont efforcés de fabriquer des toiles, cuirs, pelleteries et plusieurs autres choses qu'ils portent aux dites foires.
Articles du cardinal de Bourbon, des doyens et chapitre de l'église cathédrale, des manants et habitants de Lyon. Dans : Marc BRESARD. Les foires de Lyon aux XVe et XVIe siècles. Paris, A. Picard, 1914, p. 327-338.
1. Pays jouissant du privilège de recevoir les marchandises étrangères exemptes de toute taxe.
Retour au sommaire
Retour